Quand le juridique rappelle au politique ses devoirs

Quelle surprise et quelle est belle! Le 13 octobre, le Tribunal Fédéral (TF) a rendu un jugement inattendu qui l’air de rien, change bien des choses. Explications.

L’arrêté 2C_765/2022 du 13 octobre courant n’a pas fait grand’bruit. Juste une publication via un communiqué ATS dans le Journal du Jura du samedi 23 octobre. Pourtant, il a surpris plus d’une personne travaillant dans le domaine de la détention.

Dans cet arrêté, le tribunal fédéral (TF) reconnaît que le régime de détention administrative, tel qu’appliqué à Moutier, est trop sévère. Notamment en matière de durée d’enfermement en cellule et de communications (internet).

Ce n’est pas grand’chose en apparence, mais cela met sans doute une sacré pagaille dans les divers lieux qui pratiquent la détention administrative. Car le TF est très clair: si des mises au normes ne sont pas faites, il est impossible de maintenir des personnes détenues sous ce type de régime. Il faut soit les libérer, soit trouver un lieu aux normes. Or, selon la seule carte trouvée aisément, cela fait tout de même 470 places de détention concernées (et encore depuis 2012, il doit y en avoir en plus)! Et pour les lieux de détention ayant peu de places de ce type, comme Delémont, une adaptation semble irréaliste. Comme souvent, pour ne pas dire toujours, l’attentisme en matière de politique de détention conduit au désastre avec un stress immense dans certains lieux de détention suite à cette décision. Des lieux dont les directions pouvaient réclamer tous les changements, toutes les adaptations, mais où à chaque fois, le pouvoir politique disait que tout va très bien, madame la marquise.

Ce que le TF clarifie également, c’est la légitimité de la Commission Nationale de Prévention de la Torture (CNPT). Elle est souvent prise de haut par les responsables politiques, qui ne voient au mieux que des recommandations dans ses rapport (écoutez Frédéric Favre dès 2 minutes 30), au pire, des remarques de nature politique. Jusqu’alors, le pouvoir de la commission semblait inexistant. La preuve avec la lutte pour améliorer les conditions à Granges en Valais et l’opposition passive du Conseiller d’Etat à ce sujet.

En s’appuyant sur les rapports successif de la CNPT dans son jugement, le TF rappelle que les recommandations émises par cette instance sont contraignantes. Il en va de même pour sa « grande soeur » la commission européenne de prévention de la torture (CPT). En effet, ce ne sont pas des idées et lubies de gentils gauchistes, mais bien des points de droit international que la commission met en avant dans ses rapports.

Si les lieux de détention parviendront sans doute à s’adapter rapidement, le rappel à l’ordre du TF n’en demeure pas moins un camouflet à une certaine classe politique, qui traînait jusqu’alors des pieds et pensait qu’aucune instance n’oserait, et surtout n’aurait les moyens, remettre en cause cet attentisme. Le pouvoir judiciaire vient de donner tort au politique, qu’il en prenne de la graine!


Un homme blanc épinglé pour des propos sexistes et racistes: la suite va vous étonner!

Tant qu’à peu poster, autant faire du faux putaclic non? Si vous suivez un peu l’actu tamédiatique/ringieresque (le grand groupe de presse de Suisse), vous savez que cet homme, c’est Christian Lüscher, conseil national PLR (droite, Genève) dont les propos dans un groupe WhatsApp ont été révélé par le Blick. La suite est connue, mais mérite d’être narrée.

Je reviens déjà sur les éléments essentiels: personne ne conteste que ces propos ont été tenus, et la défense autour de leur tenue relève dès le début la farce. Outre la minoration du problème des surnoms (le mien c’est « le vieillard » ce qui est effectivement d’une violence incroyable quand on sait qu’il y a « Pinochet » « Gros-de-Vaud » (haha lol mdr la grossophobie) et « Brutus »), la défense du plus problématique de tous, qui est clairement raciste, relève du pur foutage de gueule. Fatih Derder, ex-conseiller national, est affublé du surnom « le bougne » abréviation de « bougnoule »! La défense de ce surnom par Christian Lüscher c’est du lourd: « Vous aurez compris que cela vient de ‘bougnoule’, rétorque l’homme de loi. Cela ne colle toutefois pas du tout aux origines de Fathi Derder, qui est Haut-Valaisan et Perse. C’est un surnom affectueux, qui remonte à il y a plus de dix ans. Tout le monde l’appelait comme ça, y compris les Suisses allemands! » Nous sommes donc rassuré de savoir que si le surnom se trompe volontairement d’origine, qu’il se veut affectueux et qu’il est employé par tout le monde, ce n’est pas problématique. Inattaquable, c’est sûr.

Heureusement, ce quasi martyr de la liberté d’expression peut compter sur l’appui de ses amis du parti. À commencer par le vice-président Philippe Nantermod qui le défend avec aisance. Ce sont des propos privés, tenus entre amis, nous ne sommes pas employés par le parti donc ce genre de groupe ne pose pas problème et enfin: la révélation des propos, voilà le scandale!

Une défense aussitôt adoptée et développée par Nicolas Capt, avocat genevois spécialisé dans les questions en lien avec les nouvelles technologies, potentiellement par le Matin, qui nous gratifie d’un des articles les moins clairs que j’ai lu depuis longtemps et par le président du parti suisse, Thierry Burkhard, qui veut que la « taupe » soit lourdement punie!

C’est bien joué, car le débat non seulement s’oriente sur la question de l’éthique journalistique et surtout, reste ainsi cantonné aux médias du groupe Ringier, connu pour ne pas cracher sur ce qui est décrié comme étant du journalisme de caniveau/de fouilles-merdes. En effet, en dehors d’une question lors d’un entretien sur SRF (radio germanophone), de l’entretien avec maître Capt dans la Tribune de Genève/24 heures, c’est silence dans les rangs médiatiques. Il est vrai que l’homme ne se gêne pas pour porter plainte et qu’il n’est pas simple de mettre sur le grill un homme politique qui n’est pas accusé d’une infraction pénale.

Une façon de ne pas trop en faire et de se taire qui me fait sourire jaune, quand je pense que le dernier scandale comparable, avec divulgation de propos dits privés d’une personne influente au niveau national, avait été relayé par toute la presse. C’était il y a 6 ans, quand l’alors chef de l’armée, André Blattmann, avait tenu des propos pour le moins salés devant un parterre d’officiers. Propos enregistrés, transmis à un groupe critique de l’armée, puis diffusés dans la presse. Le chef de l’armée avait du s’excuser pour s’en être pris violemment à un journaliste et le département compétent s’était distancié des propos de manière claire.

La justice militaire, qui est à la justice ce que la musique militaire est à la musique, avait décidé de poursuivre… « la taupe »! La réunion, convoquée par le chef de l’armée et rassemblant 150 personnes, avait été jugée comme étant d’ordre privé. Heureusement, après une condamnation en première instance, l’officier qui avait enregistré les propos avait été acquitté. Un recours est éventuellement pendant, mais la presse ne s’en est pas faite l’écho.

En tous les cas, l’image du déjà très arrogant Christian Lüscher n’en sort pas grandie. Tant lui que son collègue Philippe Nantermod, semblent avoir oublié, en tenant par écrit des propos aussi atroces et en les défendant, un des adages de leur métier d’avocat « se méfier de la partie adverse c’est la règle; se méfier du client, c’est la prudence; se méfier de soi, c’est la sagesse! »

Soyez rassurés, chers hommes, il en faut bien plus pour qu’un des nôtres se fasse mettre la pression et démissionne. Il vous suffit de dire qu’en tant que personne publique, vos propos privés n’ont pas de conséquences, et que si vos propos privés sont aussi publics, c’est de l’humour et de l’affection et que si on vous dit que cela pue quand même, vous pouvez toujours utiliser les hashtags magiques #onpeutplusriendire #dictature #gauchisme et laisser faire. De toute façon, la majorité des électrices et électeurs votera pour vous malgré les scandales, voire grâce à eux! Et oui, ne sont-ils pas le signe de la jalousie face à votre talent et de votre endurance à toute épreuve?

La difficile et nécessaire intelligence argumentative

Cela fait bien longtemps que je n’ai rien écrit ici. Voici juste un petit exemple de ce que j’ai aimé lire récemment. Bonne lecture!

Nous le savons, le CoVid et les débats l’entourant ont été une excellente occasion de remarquer que débattre, c’est difficile. Que l’on peut vite être sur les nerfs, agressif/ve et s’enferrer dans des argumentaires autoritaires et jugeant pour avoir raison. Et cette façon de faire n’est pas nouvelle et/ou a fait des petits: vous avez déjà vu un débat sur le fameux « wokisme »? Tristement similaire non?

Dans ce marasme, une personne de mon entourage en particulier s’en sort avec les honneurs. C’est un pote, que je connais en passant, qui est médecin (je ne mets pas son nom ici pas parce que je veux le protéger ou je ne sais quoi, mais parce que cela ne vous sert à rien de le connaître). Pas directement au contact des patient·es atteint·es du fameux virus, mais médecin, formé à la médecine, à la science. Un gars qui prend le temps de partager des articles qui remettent en cause le discours dominant sur le CoVid, des choses qui invitent à la réflexion.

Un chic type qui refuse les arguments d’autorité, le ad hominem et autres artifices stériles. Qui dialogue avec ses contradicteurs/trices, répond avec des arguments, d’autres articles, etc.

Nous ne sommes probablement pas d’accord sur tout, voire sur pas grand’chose en ce qui concerne la pandémie, lui et moi. Mais je respecte infiniment sa méthode, parce qu’elle évite passablement d’écueils. Tout d’abord, il ne fait que citer des propos sourcés. Pas sans commenter ensuite, mais il n’a jamais un propos du type « c’est un copain qui m’a dit que… ». De plus, il ne cite que des argumentaires scientifiques, jamais une interview de médecin à la radio/télé, jamais une opinion de Machin ou Truc. C’est du solide. Et ça prend du temps de trouver autant d’arguments solides. C’est une vraie gageure, ça demande de le vouloir.

Ensuite, il n’impose rien. Il ne nous vend pas que ce qu’il partage, c’est la vérité absolue, la révélation pour les mougeons. Juste que c’est sans doute un autre point de vue, une question, une interpellation. Il ne brutalise personne en prétendant que suivre ce qu’il publie c’est être lucide, intelligent ou que sais-je. Il respecte la contradiction tant qu’elle est argumentée. Et il se fâche, à raison, quand c’est de l’ad hominem de base, quand on lui demande s’il est vacciné ou non pour prouver sa crédibilité.

En bref, ça fait plaisir de (re)lire enfin ce genre de choses, de (re)voir cette manière de faire, qui ne prétend à rien d’absolu, juste au relatif. Qui appelle à la remise en cause, à la mise en perspective sans tout de suite tomber dans la chasse aux sorcières, dans qui devra payer etc. Qui réfléchit sur notre société et qui admet, parfois, de ne pas savoir, de s’être trompé.

Chapeau à lui, puissiez-vous en lire au moins un·e comme lui et ainsi retrouver un peu de sérénité!

Le mariage pour tous et le problème argumentatif des opposants au sein des Eglises (2/2)

Suite et fin de l’analyse (rapide) de postures d’opposants au mariage pour toutes et tous au sein de l’Eglise Réformée, plus spécifiquement l’Eglise Evangélique Réformée Vaudoise (EERV)

Martin Hoegger part lui d’un autre point de vue et se plaint de l’exclusion dont sa fraction, les conservateurs, seraient victimes. Et de pointer ainsi que le mouvement « Eglise inclusive » de son Eglise, se borne à ne pas organiser de débat sur la question de l’homosexualité. L’argument est amusant, quand le même Martin Hoegger dit plus loin qu’en 2006, 90% des réformé·e·s (de l’EERV) n’étaient pas favorables aux bénédictions pour les personnes de même sexe. Il semble donc que la contradiction viendra d’elle-même, puisque toute manifestation allant dans ce sens aura droit à 10% de soutien.

L’autre argument mis en avant, vise la table ronde organisée par « Le lab » à Genève sur le sujet et où les conservateurs étaient encore absents. Il suffit de lire le flyer pour comprendre pourquoi: ladite table vise à expliquer la position des « pros », pas à organiser un débat. On peut le déplorer, mais rien n’empêche Martin Hoegger et ses partisans de faire de même, ils ne s’en privent d’ailleurs pas avec leurs billets de blog.

Mais Martin Hoegger n’en reste pas là. Il trouve déplorable que les Eglises ne montrent pas clairement les arguments conservateurs et y voit une forme de censure à l’égard de ce courant. Il se retranche derrière la décision par consensus pour justifier son point de vue. Si on peut s’interroger sur la place faite aux arguments conservateurs dans certains documents, l’Eglise serait un cas unique si elle sortait du « oui/non/liberté de vote » en raison d’une minorité sur une question. Lorsqu’un parti donne une consigne de vote, il convoque ses délégués et c’est la position majoritaire qui s’impose. Personne n’a jamais jugé cela anti-démocratique. Par ailleurs, le gouvernement par consensus fonctionne avec de petites entités. Il est illusoire d’imaginer une Eglise cantonale le mettre en place pour un seul sujet. Se plaindre du mode de gouvernance uniquement lorsqu’on est en désaccord, cela me semble un peu facile.

Martin Hoegger souhaiterait également une consultation populaire des réformé·e·s, pour avaliser la décision du Synode national sur la question. Outre les arguments institutionnels déjà avancé: personne ailleurs ne procède ainsi et mettre en place cette structure pour un seul sujet, quelle drôle d’idée, il y a encore un autre souci ici, qu’il pointe bien: la divergence d’opinion entre « base » et « élus ». Si elle est usuellement rare, elle peut bien exister ici. J’ignore totalement comment l’EERV avait trouvé, en terme de méthodologie, 90% d’opposants en 2006, mais l’idée que ces personnes soient majoritaires peut faire du sens. Toutefois, elles avaient 15 ans pour nommer des membres du Synode, des parlementaires, qui pensent et votent comme la majorité. Cette rupture semble donc peu compréhensible, mais est observable ailleurs: la FREE (Federation Romande des Eglises Evangéliques) avait constaté le même décalage entre ses instances dirigeantes et sa base. Sur le même sujet.
Par ailleurs, la consultation de la base pourrait réserver de belles surprises: est-ce que les membres des Eglises réformées conserveraient le credo de Nicée-Constantinople ou le Symbole des Apôtres s’ils étaient consultés à ce sujet? Et si cela devait être décidé par consensus, ce serait encore plus long et complexe. De là, à dire que ces propositions visent à empêcher une décision claire…

Cela se recoupe parfaitement avec l’argument que du fait de la pluralité des opinions en son sein, l’Eglise ne devrait pas prendre position sur de tels sujets. Les personnes tuées pour « hérésie » en 2000 ans de christianisme apprécieraient sûrement une telle sensibilité. De même que les personnes migrantes aujourd’hui, qui seraient sûrement ravies d’être ignorées au prétexte que « Un conseil devrait exercer son « devoir d’unité » en communiquant qu’il est conscient qu’il y a dans l’Église des convictions et des sensibilités différentes sur ce sujet, ce qui conduit à des réponses différenciées en son sein. »

Pour conclure, il me faut ici rappeler à ces messieurs un joli collage féministe « vous ne pouvez plus rien dire, mais qu’est-ce qu’on vous entend! »

Le mariage pour tous et le problème argumentatif des opposants au sein des Eglises (1/2)

La Suisse vote le 26 septembre sur l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe. En Eglises, enfin surtout au sein de l’Eglise Evangélique Réformée Vaudoise (EERV), les personnes opposées se plaignent de ne pas être entendue et que le soutien affiché par l’Eglise Evangile Réformée Suisse (EERS) pose problème. Evidemment, en vrai, c’est plus complexe que ça…

Par le biais de leurs blogs sur Réformés, messieurs Gérard Pella et Martin Hoegger, ministres de l’EERV à la retraite, font passablement de bruit autour de leur opposition connue et reconnue aux rites de bénédiction pour les personnes de même sexe et donc, au mariage pour tous.

Les arguments de l’un et l’autre ne manquent pas de piquant. Gérard Pella lie les travaux d’Ed Shaw, que je ne connaissais pas, au mariage pour tous. N’ayant pas suivi chaque débat de l’EERV voire des Eglises, je suis incapable de me prononcer sur la pertinence du renvoi à cet auteur. Il semble plutôt être cité et connu dans des milieux plutôt conservateurs, où il est apprécié pour son « homosensibilité » (sic) et son choix du célibat comme réponse à son homosexualité. Il ne semble donc pas faire autorité, en dehors de certains cercles bien précis.

Gérard Pella prend appui sur le dernier livre de Shaw pour nous révéler un scoop: ce qui fait que la jeune génération se sent en décalage avec l’ancienne sur l’homosexualité, c’est que l’exigence des textes condamnant l’homosexualité dans la Bible ne semble plus crédible. Et Gérard Pella de se lamenter que c’est une terrible défaite pour la théologie.

Et de tout de suite nous rappeler que les grands et bons théologiens, comprendre des vieux hommes blancs morts (Karl Barth et Jacques Ellul) ou encore vivant (Eric Fuchs) avaient dit toute la vérité, contrairement à l’horrible renégat Simon Butticaz, qui a le défaut d’être jeune, mais reste, Dieu soit loué, blanc et hétéro!

Sauf que l’argumentaire de Gérard Pella peine à convaincre. D’une part, parce qu’il opère des choix étonnants pour comparer ses auteurs. En effet, ce qui relie Fuchs, Ellul et Barth, c’est leur ancrage dans la partie « sociale/sociétale » de la théologie, alors que Butticaz est lui bien plus lié à la partie « historique ». Il aurait donc été de bon ton de prendre des propos d’un systématicien/éthicien/penseur chrétien « pro LGBTIQ+ » plutôt que ceux d’un néo-testamentaire. De plus, Gérard Pella se borne à la conclusion, ce qui nous empêche de suivre le cheminement de pensée du professeur de nouveau testament.

Mais c’est un détail par rapport au vrai problème: en quoi des propos ancrés dans un contexte social qui a passablement évolué, font-ils encore du sens? Sous une insinuation de « on ne peut plus rien dire! » concernant les propos de Barth sur l’homosexualité, se trouve surtout un grand changement de regard social. On ne peut plus, comme le faisait Ellul, déclarer que les personnes homosexuelles sont « débiles », soit « défaillantes, incomplètes ». L’usage d’Ellul est particulièrement périlleux, car s’il condamne bien l’homosexualité, il le fait avec toutes les revendications de son époque en matière de « liberté sexuelle ». Et son propos général demeure percutant: la liberté/libération sexuelle est trop souvent, voire toujours, un asservissement au sexe et donc, une fausse liberté in fine. Et si les décennies suivantes « trieront » les revendications en matière de liberté sexuelle, au moment où Ellul écrit, cette manière de tout ranger ensemble est courante. C’est d’ailleurs sans doute de là que vient l’association fausse et détestable « homosexualité = pédophilie ».

Le gag de l’argument de Gérard Pella, c’est qu’il reconnaît lui-même que Barth tenait un discours dur sur l’homosexualité, car c’était la norme à son époque. Honnête, mais cela montre le crédit à porter à la référence en question. Peut-on citer la vision de la femme d’Aristote comme argument d’autorité pour la déclarer « défectueuse »?

La suite est à découvrir ici.



L’UDC, la bagnole et les taxes

L’incroyable Matthias Müller, colonel de notre glorieuse armée et députée UDC tentait de nous convaincre qu’il faut refuser une nouvelle taxe sur les véhicules. Démonstration de la qualité de l’argumentaire.

Reçu sur RJB, Matthias Müller nous a régalé d’un festival à propos du référendum de l’UDC contre la loi sur l’imposition des véhicules routier. Une pépite à écouter ici.

Premier argument: la taxe n’aura pas d’impact sur les propriétaires de véhicule de luxe, comme une Porsche 911, car elle ne sera pas assez haute pour qu’ils y renoncent pour un véhicule plus économique. Une entrée en lice très forte, avec un argument concernant une minorité fortunée, qui, à moins d’être visée par des mesures très ciblées, fera de toute façon toujours ce qu’elle veut. D’ailleurs, l’UDC combat toute idée d’impôts ou de taxes plus élevés pour les riches. Bel argument donc, puisque d’une part, il faudrait les faire plier, mais d’autre part, il ne faut jamais trop les ennuyer. D’un coup qu’ils partent et que le pays soit ruiné et envahi par des hordes d’étrangers pauvres.

Deuxième argument: c’est juste une excuse du gouvernement pour encaisser plus d’argent. Décidément, M. Müller est très en forme, il enchaîne avec un coup très technique. Si, évidemment, une taxe « enrichit » le gouvernement, il faut se demander pourquoi il en a besoin. Or, quel est le parti qui n’a pas cessé de faire baisser les rentrées d’impôts et taxes? L’UDC. Parce que pour eux, il suffit de couper dans les méchantes dépenses inutiles. Ils savent toujours ce qu’il faut faire, mais évitent en général de trop se mouiller directement, d’un coup que l’on découvre que tronçonner l’aide sociale rapporte moins que de lutter contre l’évasion et la concurrence fiscale.


Par ailleurs, ma commune prélève des taxes plus ou moins élevées et pas toujours très équitables. Du coup, le sujet revient régulièrement sur le devant de la scène en assemblée municipale. Réponse automatique: on est une commune avec un taux d’impôts très bas, on ne touche à rien, en vue des années de vaches maigres. Jeu: de quel parti, jusqu’à récemment, le maire et la majorité municipale étaient issus? Indice: cela commence par U et finit par C. Donc, quand les mêmes gouvernent, ils ne rechignent pas à taxer ni à imposer. Surprise!

Argument 3: oui mais Berne/la Suisse, c’est rien: on pollue peu et la Norvège gnagna. Troisième argument: la Suisse pollue déjà peu, et la Norvège, qui a plus de véhicules électriques, rejette plus de CO2. Une fois les arguments les plus massues sortis, il faut rappeler une vérité: la Suisse fait bien. Super, mais ne peut-elle pas faire mieux? Par ailleurs, si le canton de Berne n’est pas la Suisse, avoir des cantons pionniers sur de telles questions fait avancer les choses. Enfin, la comparaison avec la Norvège sur la seule émission est ridicule. Il faut comparer les raisons de cette différence d’émissions. Un peu comme quand on pointe du doigt la Chine. Mais rappelez-moi, pourquoi les industries s’implantent-elles massivement en Chine? Parce que c’est moins cher. Du coup, la concentration de pollution est plutôt inévitable, à moins de faire du critère écologique un critère qui prime sur celui de l’économie.

Quatrième argument: la taxe touchant les gens au porte-monnaie, ils n’auront pas les moyens à terme d’acheter un véhicule moins polluant, car il est plus cher. Plus habile, l’argument de la méchante taxe qui appauvrit et va à l’encontre du but recherché. C’est là que je me demande si l’UDC dort au parlement pendant les votes ou si elle ne s’implique pas exprès. Car si ce problème est réel, il faudra lire la loi en entier, il est sans doute possible de donner comme contrepartie à la taxe des incitations pour acheter un véhicule moins polluant sous certaines conditions. Car changer de véhicule trop souvent pollue énormément. Du coup, la taxe pourrait sans doute servir à financer une forme de transition. Mais bon, c’est difficile d’amender une loi quand on est le groupe avec le plus de députés. Surtout qu’à une année des élections cantonales, un petit référendum bien populiste, c’est bien plus efficace en terme de voix engrangées que de faire du travail au parlement.

Cinquième argument: la taxe ne tient pas compte de l’usage du véhicule, car si j’ai un véhicule qui pollue beaucoup, mais que j’utilise peu, je pollue moins que quelqu’un qui a un véhicule qui pollue beaucoup et qu’il ou elle emploie toute le temps. Argument classique, très bien employé, bravo. Et oui, la taxe est forcément discriminatoire par essence. La taxe pour les chiens est la même pour tous les chiens dans ma commune, petits comme grands. Si la question du comportement est légitime, elle est ici faussée, car à moins d’être riche, personne ne va peu servir un véhicule plus taxé qu’un autre. Maxime Ochsenbein, autre UDC, rêve d’un Jura Bernois qui a besoin de gros 4×4 pour gagner 10 minutes par rapport au train, pas de petites voitures électriques. Le problème existe déjà avec la taxe sur les plaques, qui pose la même question, sans l’écologie. Il est toutefois vrai que pour l’UDC, rouler est un droit sacré, donc cela devrait être gratuit!

Sixième argument: la taxe va produire l’effet inverse, car les gens vont souhaiter acheter des véhicules plus polluant, car les gros véhicules sont signe de prestige social. J »avoue, j’étais pas prêt. Pour M. Müller, la majorité de la population est composé de beauf avides de tunning et de belles voitures. Sauf que les gens qui achètent de « gros véhicules », les achètent en général soit pour transbahuter leur famille, soit pour des tâches qui les nécessitent, genre le travail en forêt. Du coup, ce n’est pas tellement un prestige social, qu’une nécessité. Les autres problèmes étant les beaufs dont ils parlent comme d’une population très répandue et les gens qui croient qu’il leur faut un « gros » véhicule dès qu’ils sont à la campagne, qui eux sont une population plus importante et peu encline à ce genre de taxe.

Septième et dernier argument: la solution ne passe pas par des taxes et l’intervention, mais par la technologie qui va nous résoudre tout cela toute seule. Argument en vogue, joli! Sauf que pour que les constructeurs aient dans une direction plus écolo, il faut probablement une politique contraignante. En effet, le libre marché actuel pousse les gens à acheter des SUV, soit les pires véhicules possibles. Pourquoi aucun constructeur ne travaille-t-il sérieusement sur une baisse de la conso avec des véhicules moins lourds et plus aérodynamique? Parce qu’il peut vendre ses énormes SUV et qu’il n’a pas de raison de faire autrement. Mais sans doute que du jour au lendemain, tout va changer grâce à la magie technologie.

Enfin, deux boni à ne pas oublier: Matthias Müller est colonel de l’armée suisse, c’est son métier que d’être militaire de carrière. Donc quand il critique les gens qui bossent pour le gouvernement, je lui tire mon chapeau, car il ose se viser lui-même. De plus, il passe sous silence qu’il paie son essence à un prix préférentiel, qu’il a droit à une somme colossale à intervalle régulier pour changer de véhicule et que son salaire n’est pas exactement faible. Par ailleurs, il n’a aucune gêne à se pointer en uniforme pour un entretien politique, ce qui semble indiquer que l’armée pense comme lui.

L’autre boni c’est sa phrase magique « il est moralement incorrect pour le gouvernement de tenter de manipuler le peuple ». En effet, c’est le seul rôle de son parti!

Non, l’armée n’est pas (vraiment) responsable du succès des athlètes suisses!

Léo Ferré le chantait déjà il y a fort longtemps « Et n´allez pas confondre et l´effet et la cause ». Or, dans le retour que nous font les médias sur le rôle de la grande muette dans le succès olympique suisse, c’est exactement ce qui se produit.

Les différents coachs et membres d’encadrement (voir ici par exemple) dans le domaine du sport souligne le rôle important de l’armée, lui attribuant une partie du mérite.

Mais si l’armée n’est pas totalement étrangère à ces succès, le système qui permet l’entraînement des athlètes de haut niveau a de quoi interroger. En effet, il existe des « soldat·e·s sportif·ve·s » qui sont donc là pour s’entraîner au plus haut niveau. L’existence d’une telle troupe n’est due, à mon avis, qu’à la conscription obligatoire. En effet, même chez nos têtes dures de l’armée, il a fini par devenir évident à un certain stade que plutôt que d’employer des sportifs de haut niveau comme fantassin, il valait mieux les employer pour le sport. Il y a plusieurs raisons logiques à cela: comme le risque de blessures/d’accidents n’est plus lié à des gradés plus ou moins idiots, ces hommes sont prêts à s’engager; on leur offre des conditions avantageuses: faire leurs jours en exerçant leur métier; en contrepartie, l’image de l’armée est embellie et elle « sert à quelque chose ».

Et à force de pressions de part et d’autres, on a ouvert la même option aux femmes. C’était là aussi assez logique: le système mis en place pour les hommes avait fourni des résultats probants, la place de la femme avait évolué, il n’y avait pas de raison de ne pas leur offrir la même chose.

L’obstacle majeur quant à l’intelligence ce système est politique: est-ce vraiment le rôle d’une armée d’offrir ce type de service à une partie infime de la population? S’il est normal que l’armée entraîne une élite militaire, qui peut aussi être une élite sportive, il est pour le moins surprenant que de permettre à des athlètes suisses de briller au plus haut niveau soit du ressort de l’armée. D’autant plus que l’encadrement qui permet cela est assuré par les coachs et techniciens usuels et non pas par des cadres de l’armée qui auraient des compétences dans le domaine du sport.

Ainsi, s’il me semble assez évident qu’une armée peut former un excellent personnel médical en chirurgie (ce que l’armée suisse ne fait d’ailleurs pas), je peine à comprendre comment sa mission peut être de permettre à des athlètes de s’illustrer, par exemple, en VTT. Et si l’aspect « patriotique » d’une armée se retrouve aussi dans le sport de haut niveau (défendre (les couleurs de) la Suisse), cela est trop court pour justifier le système actuel. Idem pour les valeurs de discipline, de rigueur et la place donnée au sport.

En réalité, le système qui serait le plus logique serait celui d’un centre (ou plusieurs) d’élite civil, avec des conditions plus ou moins strictes d’accès, permettant de faire exactement la même chose. Mais évidemment, cela ne servirait pas les intérêts de l’armée, qui est l’héritière d’un système qui ne doit probablement son existence qu’au service obligatoire. Rien ne devrait, par exemple, empêcher un·e athlète de faire du service civil et de disposer des mêmes conditions.

L’obstacle à ce changement est politique: aucune volonté de changer un système qui fonctionne; attachement à la tradition militaire; idée absurde que liée au service obligatoire ce type d’entraînement permet d’éviter les « dangereux étrangers fainéants », etc.

Je n’attend pas des personnes interrogées qu’elles crachent dans la soupe, mais rien ne les oblige à promouvoir un système que l’on pourrait aisément remplacer. Mais évidemment, cela voudrait dire accepter que l’on puisse servir le pays sans passer par la case « armée », et ça, ce n’est pas à l’ordre du jour politique. Dommage!

Le privilège masculin dans la presse: exempté de peine malgré la diffamation avérée

Il me paraît important de montrer comment les médias, de manière passive, non-assumée, mettent en avant le privilège des hommes dans diverses situations. Voici ici une situation judiciaire parue dans le Journal du Jura (JdJ) du 13 juillet courant.

V.R. (le nom est donné dans l’article, mais je l’anonymise par principe, car ce qui suit n’a pour moi rien à voir avec son nom et ses fonctions) a récemment été condamné pour diffamation et injure par le biais d’une ordonnance pénale rendue par un procureur neuchâtelois, canton de résidence de l’accusé. Son tort? En décembre 2020, il a traité, dans un post Facebook, son ex-compagne de « connasse » et de « meurtrière ». Celle-ci était poursuivi pour infanticide et il était le père de l’enfant, séparée d’elle au moment des faits.

Les faits reprochées à son ex-amie remontent à janvier 2019 et portent sur leur enfant commun, quand bien même V. ignorait qu’il allait devenir père, sa compagne ayant fait un déni de grossesse. Elle a depuis été condamnée, en février 2021, à 15 mois de prison avec sursis et V. a été débouté de sa demande de réparation pour tort moral, puisqu’il n’avait pas créé de lien affectif avec cet enfant dont il ignorait l’existence jusqu’au drame.


Le procureur a reconnu V. coupable et l’a condamné à payer les frais de procédure (250 CHF) et l’a exempté de peine, tenant compte de « sa douleur légitime et compréhensible au moment des faits ».

Le Journal du Jura (par le biais du groupe Arcinfo dont il est partenaire) a publié un entretien avec V. où il revient sur sa condamnation, reconnaissant avoir fait une connerie, disant ne pas souhaiter faire appel et déclarant  » je tiens quand même à relever que j’ai été exempté de peine ».

Cette manière de procéder en dit long sur la difficulté à avoir une presse de qualité sur des sujets aussi délicats. Un article sur le pourquoi de cette exemption de peine aurait fait bien plus de sens à mes yeux. Car une recherche dans le Code Pénal Suisse (CPS) ne permet pas au néophyte que je suis de trancher, sur la base tant de l’article sur la diffamation (173) que sur l’exemption de peine (52-55), de la même manière que le procureur. Il peut remplir les dispositions de l’article sur les circonstances atténuantes (48), mais cela s’arrête là. De plus, comme tout est passé par le seul ministère public, il pouvait renoncer à poursuivre, ce qui revenait au même. Il y aurait donc pas mal à écrire, à interroger, à éclairer sur le plan pénal.

L’autre écueil évident, c’est d’être allé chercher, après l’annonce de la condamnation par « 20 minutes », la seule version des faits du désormais coupable. La règle que je tiens pour essentielle en journalisme est celle de la contradiction, du contradictoire. C’est sur la base de celle-ci que Mediapart avait renoncé à publier des articles sur les accusations d’agressions sexuelles visant Claude Lanzmann, celui-ci étant mort avant d’avoir pu donner sa version des faits. Ici, si l’on peut comprendre que la victime puisse ne pas souhaiter s’exprimer, encore faut-il lui demander, ce dont aucun article ne fait mention. Et quand bien même elle renoncerait, il doit bien exister un·e juriste pour remettre en perspective cette condamnation qui n’en est pas tout à fait une, puisque l’exemption de peine, d’après mes rapides recherches, empêche l’inscription au casier.

Enfin, il est assez impressionnant comme le journaliste est fort gentil avec V. . Car après tout, il n’a aucune raison de faire appel de cette condamnation très clémente et rappeler qu’il a été dispensé de peine n’annule pas sa culpabilité. Au moins, contrairement aux nouvelles de MSN, le JdJ s’abstient-il d’une titraille odieuse. Sur MSN, on peut lire comme titre « Il aurait dû patienter avant de diffamer son ex-copine ». Charmant. Et faux puisque l’injure reste une injure même après la condamnation de l’ex-compagne.

Le problème de ce genre d’article, c’est qu’ils ne normalisent pas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’idée de « l’homme faible », qui aurait des émotions et vulnérabilités. Au contraire, ils mettent en exergue que même dans sa faiblesse, l’homme blanc suisse bénéficie de grandes largesses. Traiter une personne, deux ans après les faits, de « connasse » et de « meurtrière », via les réseaux sociaux, et s’en sortir avec à peine une tape sur les doigts, c’est presqu’un exploit. Mais l’essentiel ici, c’était de montrer la douleur d’un homme et son repentir, pas de thématiser la question du privilège masculin. Après tout, il s’agissait d’un homme, condamné par un homme et interrogé par un homme, à quoi d’autre fallait-il s’attendre?


Le semi-pragmatisme contre l’idéologie : le pot de fer de l’éolien contre le pot de terre des anti-éolien

Dans le cadre de la question écologique, l’énergie joue un rôle central. Notre consommation d’électricité tend à augmenter et des nouvelles sources d’approvisionnements « plus vertes » sont nécessaires pour faire face à l’augmentation et au débranchement des installations « non-vertes ». Mais pourquoi donc les adversaires, souvent doctrinaires, des éoliennes essuient-ils si régulièrement des revers? Esquisse de réponse

Lors de la dernière assemblée municipale de ma commune, soit la réunion du législatif, composé de l’ensemble des citoyen·ne·s du lieu, était soumis au vote un projet de parc éolien. Largement soutenu par des personnes provenant de tout le spectre politique, la votation semblait gagné d’avance pour les personnes défendant le projet. Et cela s’est aisément vérifé avec une victoire écrasante de l’ordre de 85 à 7, et 5 abstentions. Toutefois, une opposante a exposé ses arguments.

Elle a mis en avant tout d’abord les conditions de production des pales, qui sont fabriquées au Pérou avec du bois rare et coupé illégalement. Puis elle a parlé de leur transport, fort polluant et terminer sur le recyclage, impossible, condamnant au stockage des pièces usagées ou à leur destruction. Elle y a ajouté l’impact environnemental sur les personnes habitant la montagne et l’écosystème local. Enfin, elle a posée les questions de la quantité d’éléctricité réellement produite, le prix payé aux producteurs·trices et la politique d’entreprise des BKW, qui salarie leur directrice mieux qu’une conseillère fédérale.

Si rien n’était factuellement faux, l’interpellation restait incapable de convaincre par essence. Outre le fait qu’elle brassait bien trop large en termes d’arguments, le vrai problème est qu’elle ne mettait pas le doigt là où ça fait vraiment mal.
Et où la question centrale se cache, c’est bien dans le besoin en énergie électrique. Nous avons une lourde dépendance à cette énergie.
Certes, il semblerait (j’avoue, je n’ai pas cherché d’étude car sans références préalables, c’est dur) que notre consommation tendent à légèrement diminuer en Suisse. Mais cela ne résout pas le problème. Car qu’importe comment on s’y prend, produire de l’électricité est forcément « sale ». La question posée aux personnes présentes portait au fond sur le moyen le plus propre entre trois éoliennes ou un approvisionnement plus « sales » avec, par exemple, du courant issu de centrales à charbon allemandes. Mais personne n’a remis en cause ou même défendu clairement le besoin de trois éoliennes en plus. C’est comme ça et c’est tout. Pas de question sur le bien fondé de ce besoin.

Il est évidemment ironique de vous entretenir de cela sur internet, mais cette simple remarque montre l’ampleur de notre dépendance, souvent inconsciente.

La piste de lutte que nous refusons souvent de prendre est celle de l’étude de moyens d’économies et de lutte contre le gaspillage radicales. Nous vivons dans une telle société d’abondance que toute lutte sur ces fronts paraissent radicales. Pour mémoire, on jette environ un tiers de la nourriture. Avec l’électricité, cela se quantifie sûrement autrement, mais il y a sans doute des potentialités à explorer, en terme de disponibilité horaire, de sécurités, de minuteurs etc. Et il faut le faire maintenant, quand nous en avons le choix. Et pas dans 10 ou 20 ans, quand il n’y aura plus de choix et que la fracture sera nette entre riches et pauvres sur ce bien commun.

Mais ce n’est ni avec des anti « énergies dites propres » dogmatiques, ni avec des pro « énergies dites propres » qui évite la question de fond du besoin et de la dépendance à la ressource ,que nous y arriverons.

L’institution judiciaire dépassée par l’actualité

Quel est le point commun entre les violences conjugales et la condamnation par le tribunal fédéral suisse des activistes du climat? Ces deux cas démontrent, pour moi, une inadaptation, une inadéquation de nos instances, notamment judiciaires, pour régler les problèmes soulevés. Au risque de voir demander par certain·e·s l’application de recettes inefficaces.

Que ce soit avec la récente condamnation des activistes du climat du Crédit Suisse par le tribunal fédéral (TF) ou avec le ravivement des débats autour de la violence conjugale et des féminicides au travers de la condamnation du « gifleur de Macron » et du procès de Valérie Bacot, l’institution judiciaire semble dépassée.

Et c’est en réalité tout à fait normal. Si ma mémoire ne flanche pas totalement, Foucault décrivait déjà ce problème dans « Surveiller et punir ». À l’époque de la révolution industrielle, le système judiciaire a dû s’adapter en profondeur pour ne plus punir lourdement les vagabonds, toujours existants et « anti-sociaux », mais moins redoutable que celles et ceux qui s’en prennent alors aux biens privés, nouveau « sacré » de l’époque.
L’institution judiciaire est toujours dans la réponse, jamais dans la proposition. Elle ne peut pas proposer quelque chose de neuf et de visionnaire, car elle part toujours d’un problème.

Et que ce soit avec les activistes du climat, se réclamant de l’état de nécessité, ou avec les violences conjugales et leur sinistre corolaire, les féminicides, elle n’a pas de réponse qui paraît adéquate. Ces deux problématiques de société soulignent pour moi l’importance de pouvoir penser en dehors du système judiciaire et/ou de le repenser. Qu’il faille un système juridique, personne n’en disconvient. La question de son efficience et de sa forme sont en revanche des points de débats évidents.

Il ne s’agit toutefois pas de glisser dans certaines facilités. L’une d’entre elle, promu par les activistes du climat, serait de reconnaître des situations comme suffisamment extraordinaires pour en devenir licites. Ainsi, entraver, même si ce n’est que symboliquement, les activités de la place financière pour défendre la planète, serait une forme d’état de nécessité, de légitime défense de la planète. Si on peut suivre ce raisonnement sur le plan intellectuel, il n’a aucune chance sur le plan juridique. Et plutôt que de s’accrocher vainement à l’utopie juridique, il faut tirer l’enseignement: s’engager pour le climat, la planète, la vie, c’est prendre des risques. Pas forcément des risques sur sa santé et sa vie, encore que le processus judiciaire puisse être anxiogène, mais certainement des risques quant à son confort, notamment financier du fait des procès et amendes infligées. Il convient d’en tenir compte et de faire au mieux pour limiter les conséquences sur les militant·e·s.

L’autre facilité apparaît en lien avec les violences conjugales et prend la forme de la rengaine bien connue des peines plus sévères, voire des mesures infligées sur la base de suspicions. Si la question de la sévérité des peines, voire de mesures particulières applicables en cas de violences conjugales, peut se poser et être documentée, simplement donner un tour de vis ne changera rien. Le durcissement des peines ne résout en général rien, il tend à reporter les problèmes et à les transformer. C’est un point qui mérite développement, ce que je ferai ultérieurement ailleurs. Mais j’ai la sincère conviction que plus de justice ne passe que très rarement par des peines plus dures. Quant aux mesures « préventives », il y a une certaine ironie à voir celles et ceux qui appelaient récemment (et à raison) à refuser la nouvelle loi anti-terroriste en Suisse, qui est remplie ce genre de mesures, à les réclamer pour les auteurs potentiels de féminicides. Comme si l’iniquité et l’inefficience de certaines mesures ne valaient que pour certaines catégories de personnes. Ceci d’autant plus que des mesures « préventives » existent déjà pour les violences conjugales, mais tendent à être peu ou mal appliquées et n’ont donc pas le succès voulu. La question des moyens et de la volonté se pose donc.

Il faut donc de continuer à militer pour la planète et à sensibiliser aux violences conjugales, mais sans rien attendre de la justice. Pas parce que la justice ne comprend rien aux problématiques, mais parce que les problématiques se résolvent ailleurs. Et l’échec à faire accepter la loi CO2 et à faire refuser la nouvelle loi anti-terroriste sont de bons exemples du besoin de s’engager ailleurs que sur le plan judiciaire. Sur ce dernier, il convient de lutter avec intelligence, notamment en mettant ce système face à ces erreurs lorsqu’il en commet, mais à interagir aussi avec lui au minimum, car il ne changera rien aux problèmes et reçoit ses impulsions de fonds de l’institution politique.